Sept nouvelles inspirées de faits réels qui font voyager le lecteur d’Allauch aux Caraïbes, de Grenoble à la Corse, ou de Madère à la Sicile et Budapest. A vous de discerner si mes histoires sont incroyablement vraies ou purement imaginées. Ecrivez-moi et je vous dirai tout !
En voici un extrait qui vous emmènera en Corse du Sud !
Tous les étés, camper en Corse était devenu un rituel. Nous avions choisi, Ninon et moi, ce mode de vacances car il nous semblait le plus adapté pour se sentir en complète immersion, c'est le cas de le dire, avec la mer et la nature. Notre destination privilégiée était la même depuis plusieurs années : le golfe de Talazzano.
Le camping était situé en bordure d'une immense plage de sable blanc non loin du village de Saint-Valentino. Nos deux tentes de forme tipi nous permettaient de tenir debout, sans avoir à nous contorsionner pour nous habiller ou nous coucher. Notre emplacement, séparé de la plage par une épaisse haie d’oliviers… juste l’idéal pour tout campeur !
Nos activités estivales se déployaient entre la baignade, l’exploration des fonds marins, la marche le long de la plage les pieds dans l'eau, la sieste dans le hamac suspendu entre deux eucalyptus à l'ombre parfaite, les petits restos de fruits de mer - pures merveilles - et le tourisme dans les villages des alentours.
La plage était fréquentée uniquement par les résidents du camping qui s'éparpillaient sur des kilomètres de sable sans se gêner. Au moins une fois pendant le séjour, un énorme apéritif était organisé au bord de l'eau par tous les campeurs, dans une ambiance très festive. Ensuite, nous restions de longs moments à admirer le soleil qui déclinait à l'horizon dans de fascinantes nuances d'orangé, de rouge flamboyant, sur une eau scintillante de mille diamants. Un spectacle dont jamais on ne se lassait.
En toute fin de séjour, nous consacrions un peu de temps à l'achat de produits corses commandés par la famille et pour nous-mêmes. On nous avait donné une vague adresse dans les environs, d'une dame qui vendait de la charcuterie, la meilleure de toute la région, ainsi que quelques fromages. Pour tous renseignements, nous savions que sa maison était située sur les hauteurs du village voisin et qu'elle était veuve.
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Ce jour-là, nous profitâmes d'un temps maussade pour effectuer ces achats, surtout qu'il ne restait que deux jours avant notre retour sur le continent. Un fléchage sur de vieilles planches en bois très abîmées par les intempéries, qui indiquait "Produits de la ferme", nous permit de nous orienter rapidement dans la bonne direction. Mais à la sortie du village, plus de pancarte, et uniquement des maisons isolées... Pas âme qui vive aux alentours... La route devenait de plus en plus étroite et sinueuse et semblait se perdre dans une direction opposée aux maisons. Avisant un chemin de terre sur la droite, nous nous y engageâmes sans hésitation. Après avoir slalomé pendant plusieurs minutes entre gros cailloux et ornières, ce qui nous obligeait à beaucoup de vigilance, nous commençâmes à douter d'avoir pris la bonne direction. Prises par l’observation attentive du sol, un tracteur sorti soudain de nulle part nous surprit et nous obligea à nous garer prestement. Le conducteur fit de même et arrêta sa machine. Enfin l'occasion de se renseigner. L'homme avait le dos un peu vouté sur son volant comme si lui et sa machine ne se quittaient jamais. Il nous dévisagea avant de nous répondre avec un petit sourire : « C’est tout droit, sur la gauche… » comme une moquerie à peine déguisée envers les touristes. Mais l'important pour nous, à ses dires, c'était que nous approchions de notre but. Nous remerciâmes chaleureusement le vieil homme qui nous adressa un sympathique salut de la main.
Le « tout droit sur la gauche », dix minutes plus loin, nous amena enfin au lieu recherché.
La ferme était en fait une superbe villa protégée par un très haut mur d'enceinte. En face, une sorte de petit parking facilita notre stationnement compte tenu de l'étroitesse du chemin. Sur l'un des piliers du monumental portail, un interphone combiné à une caméra laissait supposer le filtrage des visiteurs. Ninon appuya sur la sonnette en esquissant son plus beau sourire et nous attendîmes... Une voix fluette à l’accent corse très prononcé s’enquit de l’objet de notre visite :
« Nous sommes des touristes, on nous a dit que vous vendiez d’excellents produits corses… »
Aussitôt, comme un sésame, le portail s'ouvrit en glissant le long du mur, dévoilant un somptueux jardin de rocailles où trônait une fontaine aux angelots. Un dédale d'escaliers nous mena jusqu'à la porte d'entrée, fort imposante dans son chêne massif. La veuve apparut alors qu’il nous restait quelques marches à grimper, une dame d'un âge indéterminé, fortement charpentée, toute vêtue de noir. Malgré l'austérité de sa tenue de deuil, elle nous accueillit avec un charmant sourire. Confuses, nous nous excusâmes de la déranger dans une période si douloureuse.
« Non, non, entrez, ne vous excusez pas... Vous savez, mon pauvre mari était malade, il est mort il y a un an, mais je me suis habituée à ma tenue de deuil, c'est ma façon de le garder encore un peu près de moi. »
Ainsi rassurées, nous prononçâmes malgré tout, quelques mots de compassion.
La pièce de vie était vaste, meublée avec goût, dans une décoration « design-rustique » de luxe dont nous ne manquâmes pas de complimenter notre charmante hôtesse. Elle nous raconta que c'était son frère qui lui fournissait la charcuterie que lui-même produisait. Nous avions hâte de faire provisions de coppa, lonzo et figatelli. Sans plus attendre, elle nous amena au sous-sol. Au fond de la pièce, une solide porte fermée par un énorme verrou d'acier : la chambre froide, la réserve de ses délicieux produits.
« Voilà, c’est ici. C'est vous-mêmes qui choisirez ce que vous désirez. Vous mettrez vos achats dans ces paniers, un pour chacune... Laissez vos sacs à main sur cette table, nous dit-elle, en la désignant... Vous savez les consignes d'hygiène sont strictes... Il ne faut pas prendre le risque d'introduire des bactéries... Voici aussi des gants jetables... En général, on ne fait pas toujours son choix du premier coup et alors on tripote plusieurs produits... Dernière consigne, je refermerai la porte dernière vous, j’y suis obligée, pour que la température reste stable. Vous n'aurez qu'à frapper à la porte quand vous aurez fini, je viendrai vous ouvrir. »
Nous trouvâmes cette démarche de confiance sympathique...